La Nature
dans les quatre premiers livres
des Confessions

(Recherches réalisées en 1997-98 par quatre groupes d'élèves de la 1ère Btn du L.T.P. Le Paraclet (29 000) et présentées sous la forme d'une dissertation)

Document proposé par
Marie Noelle Le Noac'h
<m.n.lenoach@wanadoo.fr>,
professeur de lettres modernes

Les quatre premiers livres des Confessions relatent une période importante de la vie de Rousseau, puisque dans cette oeuvre autobiographique il nous raconte les vingt premières années de sa vie (de 1712 à 1731) . Comme les héros de romans picaresques, on le voit se libérer de son milieu : la mort de sa mère, l'exil de son père, la rupture avec sa vie d'apprenti et aussi l'abjuration de la religion de son enfance le jettent sur les routes avec les aventuriers et les vagabonds. La nature peut apparaître d'abord comme une sorte de témoin muet de ses faits et gestes durant ses premières années, mais loin d'être un simple décor, elle apparaît aussi comme une complice, comme le refuge privilégié où notre grand écrivain pourra enfin donner libre cours à ses imaginations les plus folles, et à ses pensées les plus hardies.

La nature, témoin muet de l'enfance de Rousseau ressemble beaucoup à un vaste terrain de jeu où il passe avec son cousin des " jours heureux ", où il découvre " l'amité vraie " dans une campagne qui, dit-il, lui laissera " un goût si vif ". C'est dans ce cadre, à Bossey, que s'inscrit la fameuse histoire du " noyer de la terrasse ". Bossey est un véritable " paradis terrestre " jusqu'au jour où il découvre l'injustice. Curieusement alors, le décor change de couleur: " La campagne même perdit à nos yeux cet attrait...Elle nous semblait déserte et sombre... " Ainsi les états d'âme de Rousseau modifient le paysage ambiant. Malgré tout, en se souvenant de Bossey, il ne pourra s'empêcher d'écrire: " ces lieux chéris ", " mon cher noyer " confirmant par ces mots que son goût pour la nature " n'a jamais pu s'éteindre ".Ce rôle de décor, témoin important des évènements de la vie de Rousseau, est également révélé lors de sa rencontre avec Mme de Warens. Par deux fois (dans le livre II, puis dans le livre III) notre auteur, narrateur de sa vie évoque le " passage derrière sa maison entre un ruisseau à main droite qui la séparait du jardin ". Puis, il ajoute lors de la deuxième évocation: " Cet aspect n'était pas pour le jeune habitant une chose indifférente. C'était depuis Bossey, la première fois que j'avais du vert devant mes fenêtres. " Il semble que la nature soit le décor indissociable des souvenirs heureux de Rousseau. Pour preuve, ce dernier exemple choisi au moment où Rousseau amorce le récit de sa rencontre avec les deux jeunes filles Melle Galley et Melle de Graffenried: " La terre, dans sa plus grande parure,était couverte d'herbe et de fleurs... " Le décor dans lequel s'inscrit le récit du souvenir heureux qui va suivre est encore bel et bien la nature avec tous ses charmes.

Le champ lexical du bonheur et du plaisir (" charme ", " délices ", " félicité ", " heureux ", " bienheureux " etc...) est très largement utilisé par le narrateur qui ne craint pas de se répéter lorsqu'il évoque la nature, sans doute parce que, plus qu'un simple décor, elle est une source de bien-être physique et affectif. Au même titre que Mme de Warens, dont il est amoureux, la nature joue pour Rousseau le rôle d'une mère. Il lui arrive d'ailleurs de les assimiler l'une à l'autre. Consolatrice, aimante, nourricière, éducatrice, toutes ces qualités que Rousseau recherche également auprès de Mme de Warens, il les trouve dans la nature. Les adjectifs " cher ", " chéri " reviennent souvent sous sa plume et traduisent bien le lien affectif qui l'unit à la nature. Celle-ci le sécurise, l'accueille quand il est en larmes: " m'arrêtant pour pleurer à mon aise, assis sur une grosse pierre " (livre IV) écrit-il, ou bien: " j'allais courir les campagnes et les bois des environs, toujours errant, rêvant, soupirant... " (livreIV) Elle le nourrit également: " je ne connais pas encore de meilleure chère que celle d'un repas rustique... "(livre II) Enfin, elle l'éduque: " la simplicité de cette vie champêtre me fit un bien d'un prix inestimable en ouvrant mon coeur à l'amitié, Jusqu'alors, je n'avais connu que des sentiments élevés mais imaginaires. " écrit-il au souvenir des charmes de Bossey dans le livre I. Au contact de la nature, Rousseau s'éveille à la vraie vie et trouve son identité. En répondant à son besoin affectif , la nature l'aide dans sa grande quête du bonheur: " Il me faut absolument un verger au bord de ce lac...il me faut un ami sûr,une femme aimaible, une vache et un petit bateau. Je ne jouirai d'un bonheur parfait sur la terre que quand j'aurai tout cela " écrit-il au livre IV.Ce qu'il exige de la nature est clair: d'elle dépend son bonheur.

Mais ce sentiment de bien-être que Rousseau éprouve au sein de la nature ne s'explique pas uniquement sur le plan affectif. La nature est également une source de rêverie pour Rousseau, satisfaisant en lui des ambitions plus intellectuelles. Ainsi, écrit-il au souvenir de ses nombreux voyages à pied: " la vue de la campagne...le grand air...mee donne une plus grande audace de penser. ", ou bien: " Je dispose en maître de la nature entière " (livre IV) ou encore, lors de son voyage à Turin: " Il me paraîssait beau de passer les monts... et de m'élever au-dessus de mes camarades. ". Par ailleurs, au coeur de la nature, il peut enfin accéder à l'indépendance et à la liberté, loin des obstacles et des vicissitudes de la vie en société: " Que m'importaient des lecteurs, un public et toute la terre, tandis que je planais dans le ciel? " ou bien encore: " je pouvais m'enfoncer à mon gré dans le pays des chimères. " (livre IV) On retrouve d'ailleurs la même exigeance dans la manière d'exprimer cett recherche d'émotions et de sensations: " Il me faut des torrents, des rochers, des sapins, des bois noirs...des précipicesà mes côtés qui me fassent bien peur... " La tournure " il me faut " souligne ici la nécéssité pour Rousseau de trouver dans la nature des correspondances avec ses états d'âme. Les écrivains romantiques, après Rousseau, développeront cet aspect qui apparaît déjà très nettement à plusieurs reprises dans les Confessions.

 

Ainsi, nous avons pu observer au cours de cette étude que la nature, dans les quatre premiers livres des Confessions, apparaît moins pour elle-même que pour refléter l'âme de Rousseau. Les paysages évoqués ne sont pas vraiment décrits mais ils dégagent suffisamment, par leur répercussion au coeur du narrateur, toute la force vitale que celui-ci pouvait y puiser. Cette intimité avec la nature est véritablement pour Rousseau un besoin physique, intellectuel et sentimental. Au terme de cette analyse, nous pouvons mieux comprendre ce qu'on entend par " paysage rousseauiste ", expression si souvent utilisée pour désigner les bienfaits ou les charmes d'un lieu, de même que les mots gravés sur la tombe de Rousseau par le marquis de Girardin, son hôte à Ermenonville prennent tout leur sens: " Ci-gît l'homme de la nature et de la vérité "

 

Document proposé par
Marie Noelle Le Noac'h
<
m.n.lenoach@wanadoo.fr>,
professeur de lettres modernes

 

 

 

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