Synthèse de l'étude
des Confessions de Rousseau

Synthèse réalisée par Stéphane FONTAINE
<stephane.fontaine@ac-besancon.fr>

S O M M A I R E :

Introduction
1.
Les idées philosophiques et politiques
2.
Le goût pour la nature et la rêverie
3.
Le rôle de la mémoire
4.
L'autobiographie et la connaissance de soi
Conclusion

L'histoire de Rousseau, racontée dans les Confessions, expose la chute de l'enfant chéri à l'enfant perdu à travers le trois mythes : celui de l'âge d'or (il perd progressivement son innocence et le bonheur comme aux premiers temps de l'humanité), celui du paradis terrestre (il quitte l'univers du Bien pour celui du Mal, comme Adam et Ève), et celui de l'état de nature (hypothèse philosophique qui lui permet de réfléchir sur les fondements de la société). Pour Rousseau, l'enfance est plus qu'un âge privilégié, c'est un état d'innocence dont il parle toujours avec respect ; il en a une conception originale qui s'appuie sur trois grands mythes de l'innocence perdue.
 

1. Les idées philosophiques et politiques

- La religion :
Il a toujours été croyant mais pas comme les gens des deux confessions dominantes ; les principes de piété sont une tradition familiale (c'est un petit-fils de pasteur genevois).
Converti par les charmes de Mme de Warens et conscient "qu'une religion prêchée par de tels missionnaires ne pouvait manquer de mener au paradis", il crée le personnage du vicaire savoyard qui affirme sa croyance dans une Providence bienfaisante et fait entendre la voix de la conscience. Toutefois il proclamera la supériorité du protestantisme en disant : "Le catholique doit adopter la décision qu'on lui donne, le protestant doit apprendre à décider."

- La fatalité :
L'idée qu'un obscur dessein se complote contre Rousseau, qu'une conspiration se dresse contre sa liberté est un fil directeur de cette autobiographie. Le destin offre une explication aux tribulations successives de Rousseau qui va de paradis perdu en paradis perdu ; il les justifie en leur conférant une sorte de nécessité. Il découvre le sens et la globalité de cette destinée en accumulant les expériences et les détails de son analyse a posteriori. Sa naissance est le premier maillon de sa destinée malheureuse : "Ma naissance fut le premier de mes malheurs.", écrit-il au livre I.
Il faut voir dans cette fatalité la portée dramatique et sa fonction narrative : Rousseau est le héros tragique de ces situations de catharsis (mot grec signifiant, en littérature, le "mieux-être", le soulagement, l'élévation). Explication de l'autobiographe ou justification de ses responsabilités, Rousseau suggère que cette fatalité l'empêche de s'épanouir et l'arrache à ses dispositions réelles et à l'existence espérée.
A sa décharge, il est conscient de sa responsabilité et de cette solution trop facile qui consiste à tout imputer son comportement au destin ; seules importent, en fait, la sincérité et la pureté des intentions et des sentiments plus que les faits réels. La théâtralisation de certaines anecdotes ou situations accentue encore cette dimension de l'oeuvre en ménageant des effets de retardement narratif par des élans lyriques ou des coups de théâtre.

- Condamnation de la société :
Rousseau ne se comporte pas comme un héros ambitieux : ce n'est pas un roman d'apprentissage où un être jeune ambitieux se forme au contact du monde et se transforme dans le temps en développant des qualités personnelles à l'occasion d'une série d'expériences. Au terme de son existence, Rousseau accède à l'âge d'homme, et à une sorte de maturité ou de sagesse qui le met en possession de lui-même.
Il ne s'adapte pas à la société mais s'en échappe progressivement et ressent le désir de fuir les hommes ou de contester la manière dont ils se comportent : "Plus j'ai vu le monde, moins j'ai pu me faire à son ton" (livre IV). Rousseau veut faire réfléchir le lecteur à partir de sa propre expérience, sur la société à laquelle il reproche d'asservir et de corrompre l'individu.
Rousseau a condamné ce principe de vie en société dans ses ouvrages de philosophie politique écrits avant les Confessions (Discours sur les sciences et les arts, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, Du contrat social). Selon lui, plus l'homme vit en société, plus il se soumet au pouvoir des autres et renonce à sa liberté.
Rousseau ne prétend pas redresser le monde dans lequel il vit, il plaide pour certaines valeurs civiques : il combat contre l'injustice grâce à son intelligence (scène de la leçon grammaticale), le courage et le sens de l'honneur au service de la liberté (conception gréco-romaine qui rend la servitude honteuse), l'esprit libre et républicain (lat. res publica, chose publique) : l'exemple est, pour lui, la cité genevoise.

- D'un point de vue littéraire:
Les préoccupations de Rousseau s'opposent à celles de son époque. Le XVIIIe siècle est le siècle des Lumières : l'esprit et la raison triomphent et les écrivains veulent que les clartés de l'intelligence règnent sur l'univers. Il choisit la sensibilité contre la raison d'un Montesquieu, la sincérité contre l'ironie d'un Voltaire, l'individu contre la société : il tourne ainsi le dos aux débats littéraires de son époque et se marginalise. Dans les Confessions, il associe narration et analyse psychologique (phénomène d'introspection) et oscille sans arrêt entre le désir et la loi.
Rousseau apparaît comme un rêveur romantique qui a été influencé par ses lectures d'enfance : l'univers des romans médiévaux est fortement présent ; il préfère les créatures de son imaginaire à la réalité. Lecteur de Gil Blas de Lesage, Rousseau découvre le roman picaresque (oeuvre mettant en scène les mésaventures d'un picaro) et le picaro (marginal vivant d'expédients et parodiant les héros des romans chevaleresques sans scrupule, qui vagabonde à travers les divers milieux sociaux) auquel il s'identifie. Sa fréquentation de tous les milieux lui permet de faire découvrir à travers ses récits les masques et les types sociaux des plus aristocratiques aux plus humbles : "Tantôt héros, tantôt vaurien" (livre III), dit-il de lui-même.
Enfin, par opposition au refoulement de l'intimité, les nouvelles formes d'écriture romanesque qui se mettent en place dès la fin du XVIIe siècle, témoignent de la mise en scène d'un sujet romanesque fondateur de l'effet de vérité du texte. Romans picaresques, histoires secrètes, et plus encore romans par lettres signalent le besoin de créer l'illusion d'une communication immédiate où l'effet de vérité tient à la reconnaissance intime d'un sujet écrivant par un sujet lisant.
 

2. Le goût pour la nature et la rêverie

- La nature occupe une place centrale dans sa philosophie : il réfléchit sur l'état de nature (état mythique où l'homme vit dans un état d'innocence et de liberté, opposé à l'état social où l'homme est asservi). Mais avant d'être une notion, la nature est d'abord paysage : le jeune Jean-Jacques y ressent des émotions vives qui vont façonner sa sensibilité et sa mémoire.
Rousseau, très sensible mais peu attentif aux objets qu'il a sous les yeux, décrit peu la nature (les descriptions sont rares et brèves dans son récit) ; pour lui le spectacle de la nature est plutôt l'occasion d'un mouvement de rêverie qui prend différentes formes.

- La rêverie idyllique et rétrospective lie un paysage à des personnes aimées (Mme de Warens associée au paysage que Jean-Jacques voit de sa fenêtre à Annecy). Cette rêverie imaginaire s'épanouit de façon euphorique, et projette Jean-Jacques vers un futur pressenti comme heureux. Elle prend une forme sensuelle et gourmande ou une forme pastorale et fait voir la campagne à travers certains clichés empruntés à des lectures romanesques.


- Un paysage rousseauiste n'est pas seulement un lieu qu'a visité Jean-Jacques ; les seules références à ces voyages sont littéraires ou psychologiques. Ces sites n'intéressent pas Jean-Jacques et le narrateur ne les évoque que de manière allusive. Les montagnes stimulent l'énergie du marcheur et éveillent la nostalgie du rêveur et nourrissent aussi l'inspi ration de l'écrivain. Rousseau est d'autant plus passionné par la nature qu'elle constitue, pour lui, le monde des sensations.

- Le plaisir physique de la marche à pied est lié à la sensation de liberté, d'indépendance, d'absence de contraintes (aller sans savoir où) ; cela peut aller jusqu'à l'exaltation, à l'euphorie, au sentiment de toute puissance. Le mouvement de la marche favorise le mouvement de la rêverie où la solitude du marcheur est peuplée par tout un monde intérieur. La fascination de Rousseau pour les émotions qui envahissent l'homme en présence de la nature et lui permettent d'écouter son être authentique annonce les correspondances qu'établiront les romantiques entre le paysage et l'état d'âme.
 

3. Le rôle de la mémoire

- Rousseau n'envisagera donc l'authenticité que comme stratégie ou comme mythe, lui qui ne se consacre qu'à l'expertise de ses alibis et du corpus textuel et culturel qui le constitue.
Loin d'être une saisie intégrale du passé, le récit autobiographique est le travail d'un artiste : il obéit à une logique propre, alliant nécessité (l'écrivain choisit des épisodes singuliers, les recompose, montre en quoi ils sont particulièrement significatifs) et plaisir (l'écrivain retrouve la vivacité d'une émotion passée, il la met en valeur, s'efforce de la transmettre au lecteur) : il transforme l'expérience vécue en aventure littéraire.

- Dans un récit qui épouse la chronologie de l'histoire personnelle, on remarque des éléments de perturbation, qui jouent sur la distance entre le temps du souvenir et le temps de l'écriture.
Rousseau fait fonctionner son récit sur plusieurs niveaux en "se livrant à la fois au souvenir de l'impression reçue et au sentiment" (Préambule de Neufchâtel). Cette structure superpose le récit et son commentaire, le temps du passé revécu et le temps du narrateur. Le va-et-vient permanent entre le passé et le présent conduit Rousseau à raconter ce moment jusque-là inavoué afin de se déculpabiliser dans le présent par sa confession.
Rousseau, entraîné par les "retours du passé" , rédige une autobiographie qui s'apparente par ses modalités à un récit rétrospectif mais où les éléments de sa propre existence se pressent en dehors de toute chronologie, une succession "d'affections secrètes". La mémoire affective (et involontaire) offre donc à Rousseau l'occasion de retrouver le paradis de l'enfance, où le rêve et la réalité communiquaient encore.

- La mémoire du passé n'intervient pas dès la naissance : cependant si la conscience de soi s'établit sans interruption, la mémoire, elle, est discontinue et n'est pas égale pour toutes les périodes de la vie, elle est parfois même défaillante. Les failles de la mémoire posent problème : avouer des transpositions des vides comblés par de vagues récits, c'est s'exposer à l'accusation de mensonge. Rousseau va au devant de cette accusation et l'annule en accor dant une confiance quasi absolue à la mémoire, filtre infaillible : ce qui est perdu, c'est ce qui n'a pas laissé une empreinte vive dans la sensibilité.
 

4. L'autobiographie et la connaissance de soi

- Un dévoilement sans limites est un moyen pour prouver son innocence en transformant le lecteur en dépositaire des souvenirs et des secrets les plus intimes et honteux (onanisme, masochisme, exhibitionnisme). Cette volonté de transparence revient dans toutes les Confessions : elle doit permettre au lecteur de reconstituer le moi complet et véritable de Rousseau, car cette certitude de vérité ne suffit pas si Rousseau ne parvient pas à convaincre les autres. Dès qu'il se tourne vers les lecteurs, le "je" prend alors conscience qu'il est un être partagé entre son sentiment intérieur et les regards des autres sur lui.
A la question est-il fidèle à la vérité, Rousseau répond qu'il a la certitude d'être infaillible dans l'histoire de son âme. Il écrira dans les rêveries du promeneur solitaire : "Le connais-toi toi-même [n'est] pas une maxime si facile à suivre que je l'avais cru dans les Confessions."

- Condamnant d'emblée tout ce que les moralistes ont pu écrire avant lui, Rousseau est convaincu que tout est à découvrir dans le coeur de l'homme. Il attire notamment l'attention sur l'illogisme apparent de son comportement.
Rousseau part donc de l'idée que l'analyse psychologique dépend de mécanismes complexes que les philosophes n'ont pas décelés et qu'elle concerne des recoins de l'âme que la bienséance interdisait de chercher à explorer. Il s'efforce de revivre ses premières expériences sensibles, même si elles sont entachées d'émotions troubles. La sincérité veut garantir tous les aspects d'un ton vrai.
C'est ainsi que l'éveil de sa sexualité et le plaisir passif, escorté d'une humiliation heureuse, qu'il a éprouvé sous l'effet des deux fessées de Mademoiselle Lambercier, lui apparaît un premier pas dans "le laby rinthe obscur et fangeux de [ses] confessions". Ce genre d'aveu pénible pour le narrateur, qui se sent encore "ridicule et honteux", ne connaît pas de limite pour Rousseau, car le coeur humain lui apparaît insondable.

- Rousseau s'offre au monde et à Dieu comme une pièce de comparaison pour l'étude des hommes (préambule de Neufchâtel) la confrontation des hommes à Rousseau doit leur permettre de progresser dans leur connaissance de soi. Il affirme la prédominance du sensible sur tout autre mode de compréhension et d'analyse du monde : "Je n'avais rien conçu, j'avais tout senti" (livre I). L'écriture autobiographique devient alors le lieu d'émergence de la conscience social et de la conscience de soi.
Rousseau adopte les idées du sensualisme (et de Condillac, son théoricien) expliquant que, dès la première enfance et sous l'effet des sensations et de l'expérience, se forment toutes nos facultés intellectuelles. D'où le florilège de détails, qui peuvent lasser le lecteur, dans ces quatre livres où sont exposés l'enfance et la jeunesse des premières sensations si fortes qu'obligatoirement intactes sous les couches du souvenir. C'est soit la sensualité (phénomène physique) soit la sensibilité (finesse psychologique), voire un attachement sentimental pour un être, qui montre les nuances de la complexité de l'amour. Le ton excessif, violent et désespéré annonce celui des écrivains romantiques du XIXe sans toutefois se contenter d'un amour idéalisé.

- Rousseau est certain de sa singularité et se sait être une multiplicité de personnages qui composent son identité (en fonction des moments d'extase ou d'exaltation passionnée qui l'animent). Il se peint alors non pas dans une perspective synthétique mais dans une perspective dynamique pour montrer "comment son caractère s'est formé, quelles occasions l'ont développé, quel enchaînement d'affections secrètes l'ont rendu tel." Il se résout alors à parler de singularité ou présente son cas comme une anomalie.
Les instants où Rousseau se sent pleinement lui-même suscitent un bonheur intense : les impressions et les sensations de l'extérieur sont en harmonie avec son être et son naturel, ce qui lui procure un sentiment de plénitude (harmonie entre intériorité du moi et extériorité du monde, comme dans l'épisode de la nuit à la belle étoile au livre IV).

- La composition des Confessions est nouvelle, notamment par le rôle que le narrateur fait jouer au lecteur. En effet, il se garde de nous délivrer une vérité et demande au lecteur de la trouver à partir des souvenirs qu'il retrace : "C'est à lui d'assembler ces éléments et de déterminer l'être qui qu'ils composent" (livre I).
La place du lecteur est importante dans les Confessions : il est à la fois le destinataire (il en recherche la complicité ou simplement la bienveillance en le faisant participer aux troubles de sa vie intérieure), l'interprète (il habilite ou non, hiérarchise les faits et compose le portrait de Rousseau) le juge (le soin lui est confié d'absoudre et de réhabiliter Rousseau). Tantôt mis à distance, tantôt convoqué le lecteur devient complice du narrateur et de l'auteur ; Rousseau donne un rôle actif au lecteur et attend de lui les interprétations et les jugements les plus divers.
 

Conclusion :

La première partie des Confessions est d'abord un long catalogue de descriptions de personnages disparus, que Rousseau ressuscite par la magie du souvenir et de ses corollaires : l'analyse morale et l'analyse philosophique. Le narrateur - le Rousseau lucide et penseur - établit en fait au fur et à mesure de ces quatre livres une véritable archéologie de sa pensée..., de son être : il sent, il pense, il est.
Plus on avance dans la lecture de ce texte, plus le lecteur prend de l'importance : jusqu'à l'aveu final, Rousseau laisse entendre qu'il est impossible pour le lecteur d'être passif. Les concessions disparaissent, et Rousseau jouit enfin de sa personnalité pleine et entière.
Il est clair que le texte des Confessions est marqué par la volonté bien ambitieuse et bien peu réaliste de "tout dire". Cet objectif, comble de l'honnêteté de l'autobiographe induit donc une écriture sans passage romancé, sans autre description que celle des faits et de leurs ressorts psychologiques. Toute idée d'intrigue se laisse donc dépasser par un parcours chronologique sans réelle exception (peu de flash-back ou de projection dans le futur) fondé sur une rétrospection fidèle. L'ennui pourrait bien guetter le lecteur si le narrateur ne maintenait le lecteur en haleine par la mise en place d'un dialogue artificiel et rhétorique nécessitant autant un confessé qu'un confesseur et surtout un confident.
 

Synthèse réalisée par Stéphane FONTAINE
<stephane.fontaine@ac-besancon.fr>

D'après les sources suivantes :
© Encyclopædia Universalis, © Balises - Dossiers (Nathan) , © Profil d'une oeuvre (Hatier),
© Bac 98 (Belin), l'introduction aux Confessions de la collection © La Pléiade et www.lettres.net/bac

 

... en complément :

Dossier de présentation générale des Confessions (par Jeg)

D'autres liens sur les Confessions

 

 [retour à la page d'accueil du site]