Les Confessions (1765-1770)
ROUSSEAU (1712-1778)
Commantaire du préambule
"Et cet homme, ce sera moi"

Par J.E. Gadenne (Contact)

 

NB: les liens hypertextes revoient à la définition de la notion correspondante, dans mon lexique des études littéraires. Vous pouvez aussi visualiser cette page en version plein écran (les définitions s'afficheront dans une nouvelle fenêtre)

 

L'incipit des Confessions est un préambule qui permet à Rousseau, de façon assez orgueilleuse, de présenter son projet autobiographique. Il annonce ses intentions et revendique la singularité de son moi.
On pourra analyser successivement:

I. Une affirmation orgueilleuse de soi
II. La singularité du Moi et la singularité de l'oeuvre
III. Le projet autobiographique: intentions et difficultés .

I. Une affirmation orgueilleuse de soi > la place centrale du moi



1. la situation de communication.

L'étude de la situation de communication et en particulier des marques de l'énonciation révèle immédiatement l'importance du je . Plus de 40 occurrences des marques de la première personne (pronoms et adj. possessifs) Le narrateur parle en son nom (narrateur=auteur=personnage) Souvent en position de sujet des phrases.
Le destinataire au début du texte est le lecteur c'est ce dont on ne peut juger qu'après m'avoir lu (le pronom indéfini on , renvoie au lecteur)
Dans la deuxième partie du texte, le destinataire est Dieu, désigné par
-> les périphrases: le souverain juge, maître éternel
-> le pronom et l'adj. poss. de la deuxième personne: Rousseau s'adresse directement à lui au style direct, à partir de «Voilà ce que j'ai fait». (ce qui témoigne d'un certain orgueil)
Les autres hommes sont simplement évoqués par comparaison à lui. Ils ne deviennent pas locuteurs, sauf à la fin, mais c'est dans une situation hypothétique présentée comme invraisemblable: «qu'un seul te dise, s'il l'ose.» Donc insistance sur la première personne. Texte centré sur l'auteur.

2. l'apologie de soi-même. le "beau rôle". L'orgueil

Rousseau se donne la place centrale. Il se présente, surtout dans le 3ème paragraphe, en position de commandement : Il donne des ordres, d'un ton assuré, y compris à Dieu (la fin peut faire penser à un texte de type injonctif, même si les ordres ne s'adressent pas au lecteur). Présence des impératifs et des subjonctifs à valeur d'ordre: «Rassemble , qu'ils écoutent , qu'ils rougissent , que chacun d'eux découvre» ... Un ton assez solennel: rythmes ternaires.
Une sorte de supériorité morale: celui qui demande à être jugé devient en quelque sorte le juge des autres. Leur lance un défi: fin du texte. (Attitude assez peu chrétienne !)
-cherche à minimiser quelque peu ses fautes (les inexactitudes qui pourraient apparaître dans l'oeuvre sont d'avance présentées comme secondaires ou excusables ( ornement indifférent , défaut de mémoire )
A la fin du préambule, Rousseau se met en scène dans le jugement dernier. Il occupe la place centrale ( «autour de moi», Il s'imagine s'adressant à Dieu (d'une façon quelque peu cavalière) On constate une certaine mythification du moi. Un certain orgueil de la différence (idée qu'il n'est pas comme les autres, que les autres sont pires que lui)
Il prétend dire le bien comme le mal mais le bien est mis en relief et le mal relativement minimisé:
... tel que je fus ; méprisable et vil quand je l'ai été, bon, généreux, sublime, quand je l'ai été

«Méprisable et vil» : deux mots péjoratifs
«Bon, généreux, sublime» : trois mots mélioratifs + une gradation. Qui met bien en relief l'aspect positif «sublime» : hyperbole. Cet orgueil est lié aussi à la volonté de se singulariser.

NB: cette affirmation orgueuilleuse est peut-être à nuancer quelque peu. Comme le montre cet autre commentaire, on peut aussi lire le passage d'une façon un peu différente.

 

II. La singularité du Moi et la singularité de l'oeuvre

 

1. la singularité du moi. Individualité.

 

Rousseau souhaite marquer sa différence, sa distance avec les autres hommes; voir les comparaisons (surtout l'idée qu'il n'y a pas de comparaison possible): «Je ne suis fait comme aucun de ceux que j'ai vus ; j'ose croire n'être fait comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. Si la nature a bien ou mal fait de briser le moule dans lequel elle m'a jeté, c'est ce dont on ne peut juger qu'après m'avoir lu.»

La métaphore du moule brisé fait-elle allusion à la mort de sa mère ? Toujours est-il que la personnification de la nature souligne elle aussi cette unicité du moi.

L'auteur utilise le raisonnement par induction: (généralisation)

«Je ne suis fait comme aucun de ceux que j'ai vus ; j'ose croire n'être fait comme aucun de ceux qui existent»

On peut voir dans cette volonté de proclamer la singularité de l'individu un certain aspect romantique: l'affirmation du moi; une auteur qui se sent isolé de ses semblables, et qui se sent aussi messager. Son entreprise est anti-classique: Au XVIIe siècle, les grands écrivains pensaient, comme Blaise Pascal (1623-1662) que «le moi est haïssable», (Pensées, 455) Rousseau est donc un précurseur qui s'engage dans une voie nouvelle: la narration des aventures personnelles, l'analyse des états d'âme individuels qui continueront durant toute la période romantique.

D'un autre côté, son attitude peut sembler un peu paradoxale, puisqu'il affirme sa singularité, il précise qu'il est différent des autres, mais veut tout de même être comparé à eux: «qu'un seul te dise, s'il l'ose: «je fus meilleur que cet homme-là»

 

2. le caractère unique, incomparable de la démarche

 

Rousseau présente son ouvrage comme unique. Sans précédent et sans postérité: affirmations catégoriques... et discutables.

«une entreprise qui n'eut jamais d'exemple» > saint Augustin, Montaigne (1533-1592) ont, avant Rousseau, utilisé le genre autobiographique

«dont l'exécution n'aura point d'imitateur» > les autobiographies, carnets etc seront très nombreux au XIXe et XXe siècles, on ne comptera plus les journaux intimes, confessions de... etc

-mais l'auteur invite ses semblables à faire comme lui. Souhaite qu'il y ait une certaine "contagion de la sincérité": ce qui crée là aussi un paradoxe: «entreprise (...) dont l'exécution n'aura point d'imitateur s'oppose à «que chacun découvre à son tour son coeur au pied de ton trône avec la même sincérité»

 

 

III. Le projet autobiographique: intentions et difficultés.

 

 

1. Le projet: une oeuvre consacrée à parler de soi

 

Le projet est évoqué à plusieurs reprises, par plusieurs expressions: «entreprise» «ce livre» «mes semblables... après m'avoir lu» «qu'ils écoutent mes confessions» (référence au titre)

Le MOI sera au centre de cette oeuvre (on a vu par les occurrences qu'il était déjà 'envahissant' dans le préambule) Mise en relief par la phrase brève: moi seul, et par la répétition: ce sera moi. Moi seul. Le je est en même temps l'auteur et l'objet de l'étude: Dans plusieurs phrases, je est en position de sujet et de COD : «Je veux montrer à mes semblables un homme (...) et cet homme, ce sera moi.», «je viendrai (...) me présenter». «Je me suis montré. j'ai dévoilé mon intérieur»

Il y aura une adéquation parfaite entre le livre et la vie: d'où le présentatif: «Voilà ce que j'ai fait, ce que j'ai pensé, ce que je fus» «Voilà» est l'équivalent lexical du geste qui consiste à montrer. En présentant le livre, Rousseau présente sa vie. Un ton assez solennel dans le parallélisme de construction et le rythme ternaire: «Voilà ce que j'ai fait, ce que j'ai pensé, ce que je fus.» (semble résumer toute sa vie)

 

2. la recherche de la vérité. La transparence.

 

Obsession de la vérité. Présente dans l'épigraphe: "intus et in cute" (intérieurement et sous la peau) mais aussi dans le réseau lexical du dévoilement, du regard: «montrer» «Je me suis montré tel que je fus» «j'ai dévoilé mon intérieur» «tel que tu l'as vu toi-même» «Que chacun d'eux découvre à son tour son coeur au pied de ton trône avec la même sincérité»

L'obsession de la transparence s'exprime aussi par la volonté de tout dire: contrastes, antithèses: (les deux facettes du personnage seront révélées)

«J'ai dit le bien et le mal avec la même franchise. Je n'ai rien tu de mauvais, je n'ai rien ajouté de bon ; et même s'il m'est arrivé d'employer quelque ornement indifférent, ce n'a jamais été que pour remplir un vide occasionné par mon défaut de mémoire. J'ai pu supposer vrai ce que je savais avoir pu l'être, jamais ce que je savais être faux. Je me suis montré tel que je fus ; méprisable et vil quand je l'ai été, bon, généreux, sublime, quand je l'ai été»

quand je l'ai été... quand je l'ai été... répétition qui permet d'insister.

NB: il s'agit du même procédé que l'anaphore, mais à la fin de groupes successifs (On parle dans ce cas d'épiphore ; alors que dans dans le cas de l'anaphore, la répétition se fait au début de groupes successifs)

Insistance sur la sincérité: «dans toute la vérité de la nature», «franchise», «rien tu», «rien ajouté» (antithèse), «je me suis montré tel que je fus», «j'ai dévoilé mon intérieur...», «avec la même sincérité»

«dans toute la vérité de la nature» On sait que Rousseau pense que la société corrompt l'homme. Se dévoiler, c'est échapper aux corruptions de la société.

 

3. Les difficultés et les limites.

 

L'auteur a conscience de la difficulté de son entreprise: il lui faudra avouer ses fautes:

Réseau lexical du mal; «J'ai dit le bien et le mal avec la même franchise. Je n'ai rien tu de mauvais, (...) méprisable et vil»

Les limites: reconnaître qu'on a pu utiliser «quelque ornement», «remplir un vide occasionné par mon défaut de mémoire», «J'ai pu supposer vrai ce que je savais avoir pu l'être», font peser des doutes sur la sincérité. Il en est de même pour l'orgueil: un écrivain si sûr de lui même pourra-t-il échapper aux écueils du genre et ne pas travestir la vérité ? (à cause de la vanité et du désir de donner de soi une image flatteuse). En même temps, Rousseau revendique la sincérité. Un nouveau paradoxe.

 

CONCLUSION:

 

Texte qui annonce le projet autobiographique. Il révèle certains aspects de la personnalité de son auteur. Un document capital sur l'orgueil et la recherche de la sincérité de Rousseau.

La présentation d'une démarche dont on a pu souligner les caractéristiques. (recherche de la sincérité, dévoilement...) mais aussi les paradoxes. Suscitera des réactions diverses chez le lecteur.

 

 

Bibliographie. Ouvrages utilisés pour rédiger ce commentaire:

-Littérature textes & méthodes 2nde, Hatier, livre du professeur, P. 170, par H. Sabbah

-Lagarde & Michard XVIIIème, Documents, Bordas. P. 371

-MAJOR BAC, Confessions de J.-. Rousseau, Textes commentés, F. Turiel. P. 9

 

Lire l'autre commentaire sur ce même texte de Rousseau.

 

[Le questionnaire sur ce texte]
[Le texte du préambule]

 

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